Le mouvement Metoo et la présomption d’innocence
Juridiquement, la présomption d’innocence est un principe fondamental qui fait reposer sur le procureur de la République (et de fait sur la victime) la charge d’apporter la preuve de la culpabilité d’un prévenu. La présomption d’innocence est un pilier de l’état de droit : elle garantit à toutes et tous de ne pas être arbitrairement condamné.e.s ou détenu.e.s.
La question qui est souvent posée à MeTooMedia est celle de notre soutien public aux victimes : est-il compatible avec le principe de la présomption d’innocence ? Sans ambiguïté la réponse est oui, voici pourquoi en 5 points.
Censurer toute dénonciation, au nom de la présomption d’innocence, serait liberticide et dangereux pour notre société démocratique
La présomption d’innocence n’est pas un totem d’immunité, elle doit s’articuler avec le respect d’autres principes fondamentaux tels que la liberté d’expression et les droits des victimes.
La libération de la parole des femmes victimes est nécessaire à l’évolution de la société vers plus d’égalité entre les femmes et les hommes. Parler est souvent la seule alternative pour alerter. De plus, le débat social permet de faire évoluer notre société.
Vanessa Springora n’aurait pu dénoncer Gabriel Matzneff dans son livre « Le consentement » avec une application liberticide de la présomption d’innocence. Ce récit a pourtant ouvert un débat sociétal salutaire qui aide la société française à avancer. Grace à la prise de parole en 2020 de Vanessa Springora une loi a été votée, elle établit qu’aucun adulte ne peut se prévaloir du consentement sexuel d’un enfant s’il a moins de 15 ans.
La justice n’est pas la seule garante du respect des règles sociales
Quel objectif vise-t-on en matière de lutte contre les violences sexuelles ? La justice pénale établit les faits et sanctionne les auteurs. Il y a au moins trois autres moyens de lutte auquel le mouvement #Metoo répond :
Protéger les victimes et les accompagner
Aider les victimes à reprendre une vie ordinaire et de qualité
Prévenir les violences sexuelles par l’éducation et la sensibilisation.
Le mouvement Metoo a la volonté d’unir les victimes pour briser les tabous liés à ces formes d’agressions si particulières et à créer une unité entre toutes les victimes de violences sexuelles, à les sortir de l’isolement. Les sœurs et frères de plainte d’un même agresseur ont besoin de s’étayer mutuellement psychologiquement et juridiquement. Encore faut-il qu’elles se connaissent. La communication publique (réseaux sociaux, presse…) le permet. De plus, la parole, réparatrice pour les victimes, prévient la récidive.
La réaction judiciaire et la réaction sociale n’ont pas le même but, rythme, ni les mêmes règles. Seuls 8 % des auteurs de violences sexuelles font l’objet d’une condamnation et on estime que moins de 1 % des auteurs de viols sont condamnés (Source : Fondation des Femmes, Le coût de la justice pour les victimes de violences sexuelles – novembre 2023). Ce faible taux de condamnation explique d’ailleurs la prudence dont la plupart des victimes font preuve: elles savent qu'elles vont s’engager dans une procédure longue et coûteuse, qui a peu de chance de leur donner satisfaction. Quand les chiffres sont aussi parlant, et les victimes effrayée par la procédure, nous affirmons que la justice n’agit pas efficacement pour rendre justice et contrer la récidive.
Une procédure judiciaire pour un viol dure en moyenne 7 ans (source : Fonds de Garanties des victimes de Terrorisme et d’autres Infractions). Dans ces conditions : comment alerter et éviter de nouvelles victimes durant ces 2555 jours, sans prise de parole ?
Si on veut arrêter ces comportements rapidement, arrêter la chaine des victimes, il faut soutenir les victimes pour qu’elles parlent. Leur parole a cette vertu. Elle amène aussi la société à s’interroger sur les comportements problématiques et à les identifier.
La présomption d’innocence ne s’applique pas en droit du travail
L’entreprise doit-elle attendre 5 à 7 années de procédure judiciaire pour agir après la dénonciation par des salariés de harcèlement sexuel, d’agressions sexuelles ou de viols ? Non. L’entreprise a toute latitude pour blâmer ou licencier la personne accusée. Les entreprises ont même un devoir de protection des salariées. La personne accusée peut se défendre, saisir les prud'hommes et la justice.
Clairement, le droit du travail et le droit pénal ne sont pas corrélés.
A titre d’exemple, Sébastien Cauet a été mis en retrait de l’antenne de NRJ après sa mise en examen pour viols et agressions sexuelles sur cinq femmes différentes (dont trois étaient mineures au moment des faits). Puis NRJ a décidé de mettre fin à sa collaboration avec l’accusé. L'animateur a alors attaqué la station pour réintégrer l'antenne, puis pour obtenir une indemnité de 4,5 millions d'euros d'indemnités au titre de la résiliation de son contrat. Comme le Tribunal de commerce en première instance, la Cour d'appel de Paris a donné raison à NRJ et débouté Sébastien Cauet de ses demandes. Ceci concernait les aspects contractuels avec NRJ. Quant à la procédure pénale, engagée par ses victimes, elle est toujours en cours.
La présomption de culpabilité existe en droit
Si nous ne remettons pas en cause la notion de présomption d’innocence, nous nous interrogeons sur son application dans certains cas précis de viols sériels. Comment le célèbre journaliste PPDA peut-il encore être présumé innocent avec 28 plaintes dont 15 pour viols ?
De rares infractions, comme le proxénétisme, échappent à ce principe de présomption d’innocence. On parle alors de présomption de culpabilité. MeTooMedia serait favorable à ouvrir le débat pour proposer d’user de cette notion pour les agresseurs et violeurs sériels (PPDA, Gérard Miller, Spleen, Gérard Depardieu, Stéphane Plaza, Gaël Darchen...).
Le risque d’erreur est partagé
L’appareil judiciaire applique le risque de l’erreur avec la notion juridique du bénéfice du doute qui profite uniquement à l’accusé. Les violences sexuelles sont souvent difficiles à prouver, de sorte que si les faits ne peuvent être établis avec suffisamment de certitude, l’affaire ne sera pas envoyée aux assises ou simplement pas jugée et classée sans suite. S’il s’agit d’un violeur, il pourra récidiver et traumatiser d’autres femmes ou hommes ou enfants. Ainsi le risque pris en faveur du prévenu peut peser sur la vie de nombreuses personnes.
Si le risque d’erreur par le mouvement Metoo existe également, il est minime en raison de l’exposition publique de la victime, du coût, de la longueur et de l’incertitude de la procédure, combiné à la faible indemnisation (en moyenne de 11 000€ qui peinent à couvrir les frais médicaux et de justice). Dans le cas d’une accusation abusive, le préjudice pour l’accusé consiste en une réputation ternie. Convenons que ce préjudice est moins dommageable que de voir un prévenu poursuivre des viols et allonger sa liste de victimes, risque pourtant pris par la justice.